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Grand débat – Négociations, oui. Mais négocier quoi et pour combien de temps ?

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Par Sibomana Joseph

Sibomana Joseph

Sibomana Joseph

Je m’invite à ce débat en tant que citoyen burundais, rien qu’à ce titre, car je ne suis expert en rien. Pour les Burundais de ma génération qui ont grandi avec l’avènement du multipartisme de 1993, les négociations suivies de partage de pouvoir ont certes constitué une voie de sortie de crise dans sa phase intensive, mais jamais une garantie de bonne gouvernance et de stabilité durable. L’éléction de Ndadaye a précédé son assassinat et précipité le pays dans l’incertitude totale, alors que la convention de gouvernement, sensée nous sortir de l’impasse, a entretenu la confusion et fini par nous mener droit dans la guerre civile. Est-ce pour autant qu’il faut fermer la voie des négociations pour en explorer d’autres ? Si on en est aux négociations aujourd’hui, c’est justement parce que d’autres voies n’ont pas abouti. On se rappelle tous des événemnts qui ont sécouent le pays depuis le début des manifestations contre le troisième.

Le grand défi auquel fait face le Burundi depuis la tentative d’instauration de la démocratie (il n’y a pas encore de démocratie au Burundi) c’est la mauvaise interprétation de la démocratie qu’en font les acteurs politiques, (voir article de professeur Ndayisaba sur Iwacu) soit par ignorance (Dieu seul sait combien d’incultes polluent notre espace politique) ou alors par un degré extrême d’égoïsme et de cynisme accompagné d’un manque caractéristique de patriotisme. A cela s’ajoute, hélas, l’extrême politisation de l’administration qui amène à toutes les formes de corruption avec comme conséquences le clientelisme, l’incompétence, manque d’égalité devant l’application de la loi, etc.

Nous avons au Burundi une administration qui n’en est quasiment pas une dans la mesure où elle dépend d’injonctions régulières de la hiérarchie politique pour remplir des fonctions sensées régulées par la loi.

Demander ce que ferait la Belgique si elle se trouvait dans une situation semblable n’a pas de sens, justement parce que ce pays ne cesse de prouver qu’elle a une administration capable de gérer le pays dans des moments difficiles, quitte à éviter de tomber dans le désordre total. La dernière fois c’était en 2010-2011 lorsque ce pays venait de passer le cap de 149 jours sans gouvernement, battant ainsi le record du monde jusque-là tenu par l’Irak post-Saddam. Pas vraiment flatteur !

Dans son scénario politiquement incorect, le professeur Reyntjens propose le maintien du pouvoir de Nkurunziza contre une mise en place de garde-fous (sans entrer en detail) qui nous permettront de tenir jusqu’aux prochaines éléctions en 2020. Je pense que nous avons besoin de beaucoup plus que de simples garde-fous politiques pour assurer une stabilité durable. La crise que nous vivons actuellement en est une preuve car, les accords d’Arusha contenaient des mesures susceptibles de nous éviter ce que nous vivons. Mais comme la gestion d’un pays ne se limite au seul partage du sommet du pouvoir ou les quotas ethniques dans les forces de sécurité, les négociations – telles que concues par le passé – ne feront que précéder d’autres de manière plus ou moins régulière. Car il faut reconnaître que les professionels de la politique au Burundi, en tout cas la grande majorité, ne savent rien faire d’autre et ne peuvent pas tenir longtemps en état de chômage, contrairement à la grande majorité qu’ils y contraignent. Je suis donc convaincu que la bonne voie de sortie de crise est celle qui permettra le renforcément de l’appareil d’Etat – à ne pas confondre avec le gouvernement – à travers la décentralisation et la dépolitisation de l’administration ainsi que la réforme de la loi sur l’administration publique. Ces réformes devraient permettre à toutes les administrations de remplir leurs missions missions respectives indépendamment du regard du politique. Si aujourd’hui nombre de Burundais considèrent encore ce mandat comme illégal malgré le feu vert de la cour constitutionelle, c’est justement parce que celle-ci ne jouit pas de lindépendance dont elle a besoin pour mener à bien sa mission. Telle étant la perception d’une partie de la population – à tort ou à raison – c’est la crédibilité de la cour qui en pâtit, d’où le manque d’adhésion populaire à ses décisions. Cet état de chose s’observe dans toutes les administrations publiques où les agents sont tout simplement considérés comme de simples représentants, ou en tout cas des serviteurs du gouvernement. Ce qui n’est bien évidemment pas le cas dans des conditions normales.

Se référer au Rwanda dans le débat actuel nous ramène à la lecture ethnique du conflit

Quant à l’imission du Rwanda dans les affaires du Burundi, il s’agit là d’un piège dans lequel toutes les parties en conflit se laissent tomber volontiers, espérant ainsi précipiter l’action de la communauté internationale (contre un nouveau génocide des Interahamwe) ou alors calmer les esprits en envoyant un message comme quoi le problème du Burundi n’est pas aussi grave qu’il en a l’apparence. On ne peut pas comparer Kagame à Nkurunziza sur le seul registre des libertés individuelles, ignorant ses réalisations dans la lutte contre la corruption, le développement économique, l’améliorations des services publiques, etc. On ne peut pas non plus ignorer les crimes de l’’Etat Rwandais sur les opposamts et la discrimination ethnique que subit les Hutus dans ce pays. A mon avis, se référer au Rwanda (Kagame ou Interahamwe/FDLR) dans le débat actuel est une stratégie perdante qui nous ramène à la lecture ethnique du conflit et risque de causer davantage de tort à notre société. La situation qui prévaut au Burundi mérite la mobilisation de tous ses partenaires indépendamment de la présence/absence des Interahamwe. Des mesures doivent être prises dans le sens de contraindre le gouvernement à une voie de sortie de crise malgré le maintien de l’equilibre ethnique dans son sein et les apparences de l’exitence d’un espace de liberté plus large qu’au Rwanda.

Il est donc temps pour nous d’être honnêtes avec nous-mêmes et travailler pour l’intérêt géneral de toute la population. Il n’y a pas un seul individu dans ce pays, fût-il président de la République, dont l’arrivée ou le maintien au pouvoir vaut une seule vie. Il est temps de nous entendre sur un minimum de principes et la mise en place des lois – et surtout leur application ! – qui nous permettront d’écarter du pouvoir tout individu qui s’est rendu coupable de graves crimes, y compris des crimes financiers. Tout ceci n’est pas possible sans une administration judiciaire au service du peuple avec des moyens nécessaires d’y parvenir, ce qui nous ramène à la nécessité des réformes de l’administration publique. La bonne gestion d’un pays ne peut pas dépendre de la bonne foi de ses dirigeants, mais seulement du respect des lois. Et si réellement nous voulons rendre justice au peuple de ce pays, il est impératif de de revenir sur les crimes commis depuis Rwagasore, sinon nous aurons affaire à une justice partielle, donc partiale. Seulement là, l’on pourra proposer un nouveau départ sur des bases bien solides.


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